Épisode 01 : Introduction

Par Jean-François Duclos / 20 mai 2020

Bonjour, voici l’épisode numéro 1 de Madame Bo, une série baladodiffusée en français assez simple et entièrement consacrée au roman de Gustave Flaubert, Madame Bovary.

--

Madame Bovary, vous connaissez ?

-

Cette femme qui s’ennuie, devient accro (addict) au shopping, trompe (cheats on) son mari et finit par avoir de sérieux problèmes d’argent ? L’histoire se passe dans un village de Normandie, pendant la première partie du Dix-neuvième siècle. Madame Bovary, c’est le nom du personnage principal (son prénom c’est Emma). C’est aussi le titre du roman de Gustave Flaubert publié en 1856, il y a un peu plus de 160 ans. Un roman génial, à mon avis le roman le plus génial de la littérature française. Et cette série, qui lui est entièrement consacrée, va essayer de vous montrer pourquoi.

-

Si vous êtes en train de lire ou de relire Madame Bovary, ou que vous avez l’intention de le faire, Madame Bo a donc été créé pour vous. Et si vous n’êtes pas francophone, ce podcast est aussi pour vous. Le français utilisé est en effet relativement simple. Il correspond au niveau B2 du Cadre européen de référence. Cela revient plus ou moins à Advanced Low pour les apprenants (learners) américains. Pour vous aider dans la compréhension, chaque épisode est proposé avec une transcription du texte sur un site dédié. Les termes et les expressions les plus difficiles sont expliqués ou traduits en anglais. J’espère ainsi m’adresser à tous les madamebovaryphiles dont le français n’est peut-être pas la langue maternelle.

-

Pendant les premiers épisodes de cette série, je ne dirai pas comment l’histoire se termine. Pas de divulgâchis (spoiler), donc. Mais ne pas prendre en compte la fin du récit, c’est amputer le commentaire et les explications d’une grande partie de sa richesse. Je laisse donc un peu de temps aux primo-lecteurs (first-time readers) de Madame Bovary pour finir leur lecture. Mais ne traînez pas trop (don’t wait too long), parce qu’à un moment ou à un autre, il va falloir dire comment le roman se temine ! Et sachez-le quand même (know this) : cela ne finit pas très bien.

--

Alors pourquoi Madame Bovary ?

-

Soyons honnête : beaucoup de Français découvrent ce roman à l’école. Certains lisent l’œuvre en entier, d’autres seulement quelques extraits. C’est peut-être votre cas. La plupart du temps, c’est une lecture prescrite, et j’imagine parfois pénible pour cette raison. Même avec un très bon professeur, et même si l’expérience personnelle se révèle (turn out) positive, elle ne laisse pas nécessairement un souvenir impérissable (lasting). Il n’y a pas assez d’action, pas assez de suspense, pas d’héroïsme, de duel, ou d’évasion. Ça manque de magie, d’exploits, de vengeance machiavélique. Madame Bovary, ce n’est pas Le Comte de Monte Cristo. Ce n’est pas Harry Potter non plus.

-

L’action, le suspense, l’héroïsme, les duels et les évasions, c’est justement à quoi rêve Emma, et qu’elle se lamente de ne pas vivre dans sa vie. Tous les romans qu’elle lit ont pour but de la transporter dans un monde chevaleresque, amoureux, sensuel, exotique. Et dans son village de Normandie, elle côtoie des personnes frustres, bornées, banales, sans relief. Flaubert a donc écrit un roman sur la déception, c’est-à-dire sur la tristesse et la tromperie. Un roman aussi sur les dangers de la littérature sentimentale. Dans ce sens, Madame Bovary est un roman sentimental et anti-sentimental. C’est un virus et son vaccin. Ce n’est pas un roman d’Alexandre Dumas, l’auteur du Comte de Monte Cristo. Ce serait plutôt celui de Miguel del Cervantes, Don Quichotte, qui raconte l’histoire d’un homme lui aussi aveuglé par sa passion des romans médiévaux.

-

Quand on demande aux Français de donner le titre de leurs romans préférés, ils mettent, hé oui, et en première place, la série Harry Potter avant de citer Le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, L’Étranger d’Albert Camus, ou encore des romans de Victor Hugo et de Romain Gary. Madame Bovary arrive en 19e place. On ne peut donc pas dire qu’il s’agisse du roman national des Français, celui que spontanément, qu’on l’ait lu ou pas, on porte aux nues (praise). Entre parenthèses, je ne suis pas non plus sûr que ce soit un roman qui attire spécialement les adolescents, même les plus curieux d’entre eux.

-

Il est pourtant considéré comme le roman moderne par excellence. La littérature n’est plus le même après 1857, date de sa parution du roman en volume. Il y a un « avant » et un « après » Madame Bovary, dans la littérature mondiale. Flaubert a incorporé tous ses aînés et ses grands contemporains. Il écrit avec Châteaubriand mais pour se débarrasser de son influence. Il écrit avec Balzac mais comme une sorte de contre-modèle. Il écrit avec George Sand mais pour surtout ne pas lui ressembler. Il ne veut pas qu’on dise qu’il y a chez lui du Hugo ou du Stendhal. Bref, Madame Bovary, c’est le roman du Dix-neuvième siècle par excellence, mais qui ne ressemble à aucun autre.

--

Madame Bovary, ça raconte quoi ?

-

Flaubert choisit un sujet presque banal, inspiré vaguement d’une histoire vraie. On ne sait pas très bien quand ça se passe, sans doute aux environs de 1835-1840. On ne sait pas non plus très bien où ça se passe, puisque Yonville-l’Abbaye, la localité inventée par Flaubert, se trouve à la limite de plusieurs régions de la Normandie.

-

C’est l’histoire d’Emma, la fille unique d’un fermier normand, qui épouse Charles Bovary, un simple officier de santé. Le couple s’installe donc à Yonville-l’Abbaye, où il ne se passe rien. Emma se comporte en bonne épouse. Elle seconde (helps) son mari pour les interventions médicales délicates, reçoit les paiements de la part des patients, s’assure de l’ordre dans la maison. Bientôt elle sombre (sinks) dans la mélancolie. Elle qui se rêvait depuis son adolescence en grande amoureuse romantique, la voilà forcée de vivre une existence sans relief ni passion, entourée de gens ordinaires et peu sympathiques. Jusqu’à ce qu’elle prenne un amant (lover).

-

Cette relation adultère, elle la veut passionnée, pleine de déclarations et de drames, comme dans les livres qui ont nourri son imaginaire. Elle veut, littéralement, devenir le personnage d’un récit romantique. Ce désir la pousse au mensonge, à la dissimulation, à tous les extrêmes. Elle qui croyait vivre enfin la vie qu’elle mérite, elle devient la cible de tous les prédateurs. Et Flaubert raconte cette mécanique qui étouffe (stifles) progressivement une femme et sème la ruine dans son entourage.

-

Emma est à la fois le stéréotype de la femme rêveuse et l’archétype de l’être puissant. C’est une idiote, pas de doute, mais elle est aussi parfaitement lucide sur sa situation de femme élevée pour avoir des enfants et servir fidèlement son mari. Or elle désire passionnément autre chose, quelque chose de moins ordinaire que ce qu’on a choisi pour elle. Elle veut vivre sa vie, même si la vie dont elle rêve n’est qu’illusion.

-

Son mari, Charles, est à la fois le stéréotype de l’homme plat et sans qualité et l’archétype de l’amoureux absolu. Il est bête lui aussi, pas de doute non plus, mais son aveuglement pour sa femme fait de lui un être tragique. Il offre à celle qu’il aime le confort et la routine. Il propose la fidélité et un certain équilibre financier. Il n’est pas ambitieux. Il se contente de choses simples et du plaisir de soigner ses malades, de rentrer le soir fatigué, de fumer sa pipe et d’aller au lit. Ce n’est pas grand-chose, mais tout ce qu’il a, il est prêt à le donner à sa femme, qu’il aime si mal mais qu’il adore pourtant.

-

L’ambivalence éprouvée pour les personnages du roman fonctionne donc comme le moteur principal de l’écriture. Chaque épisode de ce podcast est conçu pour mettre en lumière un aspect de ce texte à la fois comique et tragique, romantique et réaliste, passionnant et ennuyeux - mais ennuyeux par nécessité. Madame Bovary met en scène des personnages banals qui vivent une existence banale, et qui conçoivent comme tout le monde des rêves hors du commun. Flaubert a fait de la médiocrité humaine un chef d’œuvre.

--

Et Madame Bovary pour moi ?

-

Je m’appelle Jean-François Duclos. Aujourd’hui j’habite aux États-Unis où j’enseigne le français. J’ai découvert ce texte pendant ma première année d’étude à l’université en France. Nous avions au programme L’Éducation sentimentale, de Gustave Flaubert. Je lis donc L’Éducation sentimentale, plusieurs fois, avec intérêt, mais un intérêt un peu froid, un peu mécanique. Par acquis de conscience (just to be sure), je lis également les autres œuvres de l’auteur : Salammbô, Trois contes, Bouvard et Pécuchet, La tentation de Saint-Antoine. Et Madame Bovary. C’était il y a trente ans.

-

Pour moi, Madame Bovary peut se relire infiniment. Chaque fois on y découvre quelque chose de nouveau. Même si on connaît l’histoire par cœur, on continue de chercher et de trouver des détails, des thèmes souterrains, des objets qui circulent, des échos comiques, des figures tragiques. Bien sûr, il y a quelque chose d’un peu suspect à faire de Flaubert l’auteur d’un roman parfait. Rien n’est jamais parfait. Et la perfection sert quelquefois de repoussoir (deterrent). Mais à nouveau, sincèrement, s’il y a un roman à relire, même si on n’est pas professeur, même si on n’est pas payé pour l’enseigner en classe ou pour écrire des articles ou des livres à son sujet, c’est celui-là.

-

Vous allez voir, Madame Bovary, c’est passionnant !