LA PHONÉTIQUE HISTORIQUE

Objectifs d'apprentissage

Dans cette partie, vous allez :

  • vous familiariser avec le concept de phonétique diachronique ;
  • étudier quelques évolutions phonétiques du latin jusqu’au français ;
  • décrire l’évolution phonétique du mot CAMERA (latin) au mot chambre (français).

Les chapitres suivants forment une introduction à la phonétique historique, appelée aussi phonétique diachronique. La phonétique diachronique s’oppose à la phonétique synchronique. La seconde étudie le système phonétique actuel d’une langue, la première s’intéresse à son évolution au cours du temps. Les langues sont semblables à des êtres organiques : elle naissent et meurent, et entre ces deux périodes, elles évoluent. Ces évolutions sont liées au fait qu’une langue appartient à ses locuteurs. Surtout à une époque sans écriture, ou sans grammairiens ni académiciens pour lui donner une norme, une langue peut changer au gré des « erreurs », des « oublis », de l’inventivité des personnes à l’adapter aux conditions de la communication, et au contact d’autres langues.

71. Généalogie du français

L’indo-européen. Le français est une langue romane, comme l’espagnol, le portugais, l’italien, le catalan, le roumain et des centaines de langues et de dialectes disparus ou encore utilisés aujourd’hui. Il est inutile d’être un spécialiste pour constater de nombreux points communs (lexicaux et grammaticaux) entre ces langue . Comparez les phrases suivantes :

  • français - Elle ferme toujours la fenêtre avant de dîner.
  • espagnol - (Ella) siempre cierra la ventana antes de cenar.
  • catalan - (Ella) tanca sempre la finestra abans de sopar.
  • guadeloupéen - I toujou ka fenmé finèt-la avan i manjé.
  • italien - (Lei) chiude sempre la finestra prima di cenare.
  • picard - Ale frunme tojours l’creusèe édvint éd souper.
  • roumain - Ea închide totdeauna fereastra înainte de cină.

Toutes ces langues romanes ont pour origine, directe ou indirectes, le latin vulgaire. Le latin vulgaire désigne une version orale du latin utilisée par le peuple à partir du IIIe siècle avant notre ère.

Le latin est une langue italique. D’autres langues aujourd’hui disparues appartiennent à cette famille, comme le falisque, le sicule, le morgète ou (peut-être) l’élyme et le dalmato-pannonien. Cette branche italique est elle-même reliée à une origine italo-celtique. Cette branche italo-celtique est reliée à une version de l’indo-européen. Cette version de l’indo-européen est elle-même reliée à une autre version de l’indo-européen... Bref, une grande partie des langues d’aujourd’hui (environ mille) ont une origine commune : l’indo-européen, matrice de toutes les autres.

Ces branches forment un arbre généalogique qui atteste d’un vaste paysage géographique et linguistique depuis plusieurs milliers d’années. Toutes les langues indo-européennes (comme l’iranien, le turc, l’albanais, l’anglais, mais pas l’arabe, le chinois, les langues africaines, australiennes ou amérindiennes) sont des langues flexionnelles : les mots changent de forme selon leur rapport grammatical aux autres mots, dans une phrase. Comparer certains mots usuels permet de constater un « cousinage » entre ces langues.

Par exemple le mot « mère » (source : Wikipedia) :

  • Indo-européen : *méhtēr
  • albanais : motër (désigne la sœur)
  • arménien : մայր (mayr)
  • germanique : *mōdēr, d'où, par exemple, pour les langues germaniques :
  • allemand : Mutter
  • anglais : mother
  • danois et suédois : moder (forme traditionnelle) ou mor (forme moderne)
  • islandais : móðir
  • néerlandais : moeder
  • grec ancien : μήτηρ (mếtêr)
  • irlandais : máthair
  • latin : mater, d'où, par exemple, pour les langues romanes :
  • espagnol, italien : madre
  • portugais : mãe
  • français : mère
  • occitan : maire
  • catalan : mare
  • roumain : mama
  • persan : « مادر » (mādar)
  • slave : « *mati », d'où, par exemple, pour les langues slaves :
  • biélorusse : матка (matka)
  • bulgare : майка (maïka)
  • russe : мать (mat)
  • slovène : mati

Historien de la langue : un travail de détective

L’historien des langues travaille sur quatre niveau d’observation et d’analyse : les règles syntaxiques (la grammaire), le lexique (les mots), les formes prises par certains mots dans le contexte grammatical, comme par exemple la conjugaison des verbes (la morphologie), et la manière donc cette langue était prononcée à différentes époques de son évolution (la phonétique diachronique). Examinez cet extrait du Tristan et Yseut de Béroul, un texte datant du XIIe siècle, accompagné de sa traduction en français moderne. Êtes-vous capable d’établir un rapport entre les deux versions ?

Par Deu, qui l’air fist et la mer,

Ne me mandez nule fois mais.

Je vos di bien, Tristan, a fait,

Certes, je n’i vendroie mie.

Li rois pense que par folie,

Sire Tristan, vos aie amé,

Mais Dex plevist ma loiauté

Qui sor mon cors mete flaele,

S’onques fors cil qu m’ot pucele

Out m’amistié encore nul jor !

Au nom de Dieu, qui fit l'air et la mer,

Ne m'appelez plus.

Je vous le dis net, Tristan,

Je ne viendrai pas.

Le roi pense que c'est par folie

Pour vous, Sire Tristan, que je vous aime 

Mais que Dieu m'en soit témoin, je suis loyale.

Que Dieu me frappe le corps,

Si un autre homme que celui qui m’épousa vierge

Fut jamais mon amant !

Tristan et Yseut, édition J.C. Payen (adapté), Paris : Classiques Garnier, 1974.

ACTIVITÉ 71.1

Lisez ces quelques vers en français du XIIe siècle (Chretien de Troye, Erec et Enide). Soulignez les mots que vous reconnaissez et proposez une traduction en français moderne.

Au jor de Pasque, au tans novel,

A Quaradigan, son chastel,

Ot li rois Artus cort tenue. (v.1-3)

La pucele prant le cheval,

Si li deslace le peitral,

Le frain et la sele li oste. (v.459-461)

Précédent Suivant